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août 16, 2010 / Denis Chemillier-Gendreau

L’assurance maladie : attendue par près d’un milliard d’Africains

Alors que les dépenses de santé explosent en France année après année, combien d’entre nous savent que l’existence même d’une assurance maladie est un luxe que la plupart des pays d’Afrique n’ont pas ? Lorsque la vague de décolonisation est intervenue, autour de 1960, les modèles coloniaux avaient en effet prévu, aussi bien dans l’univers anglo-saxon que dans l’univers latin (France, Espagne et Portugal principalement) des couvertures pour la retraite, les allocations familiales et les accidents du travail ; mais en matière d’assurance maladie, rien n’existait au sud de la Méditerranée. Il faut dire qu’en France même, l’assurance maladie universelle, telle que nous la connaissons aujourd’hui, ne date que de 1945… De 1960 à 2000, pendant les premiers quarante années d’indépendance, les jeunes pays d’Afrique ont développé leur protection sociale autours des régimes existant au moment de la décolonisation, donc sansl’assurance maladie. L’Algérie a toujours fait exception à cela, avec un régime d’assurance maladie existant depuis l’indépendance et hérité de l’époque où le pays était non pas une colonie mais un département français. Ces régimes qui ont ainsi vécu pendant 4 décennies ont été essentiellement limités aux employés des secteurs formels, et notamment aux fonctionnaires. Cette générosité des régimes au profit des secteurs formels constituent d’ailleurs un frein puissant à l’effort pour faire reculer la frontière entre secteur formel et secteur informel … et il n’est pas rare qu’un fonctionnaire retraité, au Mali ou au Gabon, fasse vivre la moitié de son village natal avec sa pension. Pour la couverture du risque de santé, les Africains se débrouillent, entre des hôpitaux parfois mal achalandés en médicaments, des dispensaires plus souvent proches des villages mais restreints aux actes médicaux les plus simples, des couvertures maladies souscrites auprès des assureurs ou, pour les plus riches, l’évacuation sanitaire vers l’Europe ou l’Afrique du Sud… Le Maroc et la Tunisie sont les premiers à avoir mis en place une assurance maladie digne de ce nom, presqu’à la même date d’ailleurs (2005). Dans les deux cas, une forte assistance technique a été fournie par les bailleurs de fonds traditionnels (Union Européenne, Banque Mondiale), pour la détermination des grands paramètres de ces nouveaux régimes : panier de soins, nomenclature des actes, tarification des actes, ticket modérateur, conventionnement des prestataires, etc. ACTUARIA a eu la chance d’être associé à ces deux expériences originelles : dans les deux cas, nous avons travaillé sur le cadrage actuariel de l’assurance maladie, c’est-à-dire l’analyse consistant à déterminer les paramètres du régime de façon à assurer son équilibre financier pérenne. Grâce à une modélisation sophistiquée, nous sommes ainsi capables de déterminer si le taux de cotisation prévu pour le financement du régime sera suffisant compte tenu des paramètres fixant les prestations. Dans ces deux pays, après quelques années de recul, l’assurance maladie est une réussite, qui a su se développer et s’étendre sans générer de déficit. Très vite, l’expérience pionnière de ces deux pays s’est étendue : la Mauritanie a mis en place son assurance maladie en 2007, suivi par le Gabon en 2008 et le Mali en … 2010. ACTUARIA a été aux cotés de ces trois pays, notamment au Gabon et au Mali, où nous avons joué un rôle d’accompagnement tout au long du projet, de sa conception initiale à sa mise en œuvre opérationnelle. Dans chacune de ces expériences, l’équipe d’ACTUARIA, marquée par la dérive des dépenses de l’assurance maladie en France, a tenté de renforcer le cadrage actuariel : nous sommes convaincu qu’il est vital que l’assurance maladie soit dés son lancement bien équilibrée, pour assurer sa pérennité. Lorsque le déficit est contenu, en germe, dans l’équation de base du régime, il oblige les autorités à choisir ultérieurement entre une hausse des cotisations ou une révision à la baisse des prestations, deux solutions douloureuses politiquement. Le déficit, en matière d’assurance maladie, n’est acceptable que s’il résulte d’une modification structurelle des consommations médicales, comme la survenance d’une maladie nouvelle ou d’une thérapie nouvelle, ou un allongement structurel de l’espérance de vie.

Il est regrettable qu’en 2010, seule une poignée de pays africains aient franchi le pas de l’assurance maladie. D’autres sont certes dans les starting blocks, comme le Sénégal, le Burkina Faso, le Bénin ou la Cote d’Ivoire : mais il faudra bien du temps avant que le milliard d’habitant que compte l’Afrique ait accès à une couverture maladie… Souhaitons que les prochains pays qui rejoindront ce cercle fermé de l’assurance maladie africaine prennent le soin de bien cadrer leurs régimes, pour ne pas exposer le principe et l’image de l’assurance maladie à de graves déceptions qui pourraient effrayer les pays suivants.

2 commentaires

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  1. Guillaume GILKES / Sep 10 2010 4:12

    La CNAMGS est maintenant opérationnelle au Gabon. Bientôt la phase de mise en œuvre concrète de l’AMO au Mali?

    • GOMHIS / Jan 27 2011 6:24

      Qui vivra verra

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