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juillet 29, 2010 / Denis Chemillier-Gendreau

Les conservateurs ne sont pas où l’on croit…

GFEN

Le conservatisme, c’est-à-dire la résistance au changement, prend parfois des allures étonnantes. Le hasard de mes lectures me fait tomber sur une revue confidentielle qui se revendique « à la croisée de l’engagement politique, de l’expérimentation artistique et de la recherche scientifique ». On imagine assez facilement, en la parcourant, que la profession d’enseignant y est majoritairement représentée, aussi bien dans ses lecteurs que dans ses auteurs. En toute logique, on s’attend à y trouver des positions subversives, originales, innovantes, susceptibles de faire avancer les grands dossiers de notre vie sociale.

Et patatra … je lis ceci, dans la dernière édition :

« La pédagogie menacée : Le ministère de l’Éducation nationale a annoncé le vendredi 2 juillet une suppression de la moitié de la subvention accordée aux Cahiers pédagogiques et au GFEN (Groupe français d’éducation nouvelle), dont les activités se trouvent ainsi mises en péril à court terme. [… Le] ministère n’hésite pas, dans le même temps, à diminuer de plus de 3000 le nombre de places au concours des professeurs des écoles. […] Il paraît sidérant de s’en prendre ainsi, aussi ouvertement, aux mouvements pédagogiques ».

Je vois dans cette position l’expression d’un conservatisme bien français, dans lequel aucune association, aucun regroupement, ne peut imaginer exister sans une subvention de l’Etat, laquelle déconnecte immédiatement son bénéficiaire de la nécessité de s’interroger sur sa légitimité, son écoute et son écho, bref son utilité sociale. Je préfère un directeur de théâtre privé vivant de la recette de ses spectacles que le directeur du théâtre public ferraillant avec sa tutelle pour le maintien de sa subvention : j’ai plus de chance de trouver le spectacle qui me plait dans le premier que dans le second. Une fois la subvention accordée, on se bat pour son maintien, sinon son augmentation. Et tant pis si le « Groupe français d’éducation nouvelle » est une association créée en 1922 pour « lutter contre l’acceptation fataliste […] de la guerre [de 1914-1918 !] comme solution » : la France d’aujourd’hui a certainement d’autres combats à mener que celui de lutter contre l‘acceptation de la guerre comme solution. Et d’ailleurs, l’Etat ne supprime pas la subvention, mais il la divise par deux : cela vaudra-t-il remerciement pour la moitié de subvention maintenue, payée par des contribuables bien généreux ? Non, bien au contraire !

Et, dénonciation pour dénonciation, les rentiers mécontents d’avoir à se préoccuper, demain, de trouver par eux même les ressources pour financer leur distraction professionnelle, s’en prennent à la diminution du nombre de places aux concours de professeurs. Peu importe que le nombre d’élèves diminuent lui aussi, bien plus vite que le nombre de professeurs : l’idée d’établir une proportionnalité entre les deux est d’une insolente incongruité. Car le combat mené ici n’est pas celui de la raison, du bien public ou de l’intérêt général, mais le triste combat d’un groupe de rentiers conservateurs, qui défend son intérêt, sans se soucier de l’environnement dans lequel il agit, ni de la situation financière de son employeur, ni de la soutenabilité de son combat.

Heureusement, le monde enseignant est essentiellement fait d’acteurs qui pensent plus à l’avenir et à la formation de leurs élèves qu’au maintien de quelques rentes annexes. Mais si l’on veut, demain, renforcer les services publics – et singulièrement l’éducation – dans les zones défavorisées, il faudra compenser par une bien plus forte exigence dans la dépense publique.

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